Union Départementale CGT d\'Eure & Loir

Humanité Dimanche du jeudi 2 au mercredi 8 avril 2015

Par Jean-Christophe Le Duigou (*)

Revendications salariales : il n'y a aucune
raison d'en rabattre
Revendications salariales : il n'y a aucune
raison d'en rabattre !
Selon le ministère du Travail, « le
pouvoir d'achat des salariés a crû de
1,4 % en 2014 ». Les augmentations
de salaire octroyées par les entreprises
seraient certes moins importantes
en moyenne en 2014 qu'en
2013, +1,4 % au lieu de +1,6 %. Mais
« l'inflation mesurée étant nulle,
cette augmentation moyenne de salaire
serait entièrement du pouvoir
d'achat gagné ». Au vu de ces chiffres
abondamment commentés dans « le
Monde » et « les échos », on se demande
pourquoi les travailleurs
viennent se plaindre des difficultés à
boucler leurs fins de mois !
C'est peut-être qu'ils ont une autre
vision des choses. Pour une bonne
raison : le chiffre brandi par le ministre
du Travail est loin d'être
l'indicateur pertinent reflétant la situation
vécue par les ménages salariés
l'année dernière. D'une part ce
chiffre est celui de l'évolution du seul
salaire mensuel de base. C'est-à-dire
la première ligne de la feuille de paie
qui n'intègre ni l'évolution des
primes ni celle des heures supplémentaires.
Ne sont de plus retenues
que les entreprises de plus de 10 salariés,
ce qui donne un poids accru aux
grandes entreprises qui connaissent
généralement des augmentations de
salaire plus importantes.
D'autre part cet indicateur est sensible
à ce que les économistes appellent
les effets de structure. Si, par
exemple, les salariés perdant leur
emploi en période de récession sont
en moyenne moins qualifiés et donc
moins bien rémunérés que ceux qui
conservent leur emploi, leur sortie de
l'emploi tend à faire grimper le salaire
moyen, sans que les salaires des
individus restant en emploi n'aient
nécessairement augmenté. A
l'inverse, la déformation structurelle
de l'économie au détriment de
l'industrie et en faveur des services
freine la hausse du salaire moyen.
Chaque emploi perdu dans l'industrie
et remplacé par un emploi de services
se traduit par un recul de la rémunération.
François Rebsamen brandit un chiffre
qui agrège des évolutions disparates.
On le sait, les moyennes sont de
mauvais indicateurs en période de
crise. Une année donnée, tous les salariés
ne bénéficient pas d'une garantie
de leur pouvoir d'achat. L'INSEE
avait montré dans une de ses études,
malheureusement passée inaperçue à
l'époque, qu'une année donnée, sur
10 salariés, seuls 6 bénéficiaient
d'une augmentation de salaire au
moins égale à l'inflation alors que les
4 autres perdaient du pouvoir
d'achat.
Dans les faits, sur une plus longue
période, force est de constater que les
augmentations annuelles de salaire
se sont considérablement réduites.
Dans le secteur privé, l'évolution des
salaires nominaux brut a nettement
ralenti avec la crise. Son taux a chuté
de 3 % en moyenne de 2005 à 2008,
à seulement 1,5 % à partir de 2009.
L'évolution du salaire moyen net à
structure constante a elle-même été
divisée par plus de 2, tombant de 1,4
% à 0,6 %, comme le montre une
étude récente de France Stratégie.
C'est pourquoi les salariés n'ont aucune
raison d'en rabattre sur leurs revendications
de salaire. L'austérité
salariale qui semble faire consensus,
d'Hollande à Gattaz, nourrit les dividendes
et non la croissance.
L'équilibre social et l'équilibre économique
exigent au contraire que le
pouvoir d'achat augmente sur le long
terme autant que la productivité. Cela
n'a pas été le cas en Europe ces 10
dernières années.
Augmenter les salaires, se battre
pour une politique industrielle et financer
les investissements publics et
privés indispensables sont trois actions
qui vont de pair. Au lieu de les
opposer, en France et en Europe, une
véritable politique de gauche devrait
chercher à les articuler.


(*) économiste et syndicaliste. ■
Tous droits réservés L'Humanité Dimanche 2015



08/04/2015
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